Buzz autour d’un mythe

Ces derniers mois, plusieurs grands constructeurs se sont mis à prêter ou louer des véhicules à hydrogène, principalement en Californie où la législation sur la pollution de l’air est l’une des plus strictes au monde. Leurs motivations? Soigner leur image écolo, tester les réactions des automobilistes, mais aussi entretenir un vieux «serpent de mer» générateur de subsides publics.

Dans une grande opération de marketing écologique, le mastodonte étasunien General Motors s’est mis à prêter des 4×4 Chevrolet Equinox à pile à combustible à plusieurs automobilistes étasuniens, principalement des gens vivant à proximité de stations-services à hydrogène (il n’en existe actuellement que 61 sur tout le territoire US, contre plusieurs dizaines de milliers de stations à essence).

Honda a pour sa part commencé à louer 200 FCX Clarity, une cinq places/cinq portes à hydrogène. Sa cible? La Californie et le Japon. Dans la droite ligne de la «Prius mania» qui avait frappé Hollywood il y a trois ans, des people comme l’actrice Jamie Lee Curtis (Un poisson nommé Wanda, Un fauteuil pour deux…) et d’autres personnalités du showbiz soucieuses de cultiver une image écolo-responsable font la promo du véhicule «vert» du constructeur nippon.

Quant au géant allemand BMW, il prête également sa série 7 Hydrogène à des personnalités telles qu’Albert de Monaco, Placido Domingo ou le vice-président de la Commission européenne chargé des entreprises et de l’industrie, l’Allemand Günter Verheugen qui en a eu la primeur l’an passé. Ces BMW sont équipées d’un moteur à combustion traditionnel qui, peu de gens le savent, peut fonctionner tant avec de l’essence qu’avec de l’hydrogène. Point de batteries donc, et encore moins de piles à combustible dans cette limousine allemande dont 100 exemplaires seulement ont été fabriqués.

Les utilitaires urbains et la frime

Plus près de chez nous, le groupe PSA Peugeot Citroën poursuit ses recherches sur la filière hydrogène, mais n’envisage pas de diffusion «grand public» avant 2015-2020. Il reste «un certain nombre de verrous technologiques à lever» avant de penser sérieusement à une commercialisation de série, explique Jean-Pierre Goedgebuer, directeur scientifique du groupe. Ces verrous sont notamment le coût de la pile (qui devra être divisé par dix) et sa durée de vie (actuellement de 2.000 heures, soit 100.000 km, une durée de vie qui nécessiterait au minimum d’être doublée). Aujourd’hui, ces véhicules sont impayables: un prototype réalisé chez PSA revient à 500.000 euros environ. Le marché? Selon Goedgebuer, les véhicules à pile à combustible viseront essentiellement deux types de clientèle: celle des véhicules de livraison à usage urbain et celle des «véhicules d’image» liés aux loisirs.

Reste que sur ces deux créneaux, les véhicules à l’hydrogène pourraient bien se faire damer le pion par leurs cousins électriques (lire ci-dessous «L’électron va-t-il doubler l’hydrogène»). En effet, la recherche sur la pile à combustible profite aussi aux véhicules électriques traditionnels fonctionnant sur batteries. En France, la Poste annonce par exemple qu’elle utilisera 30% de véhicules électriques en 2013. Quant au géant US United Parcel Service (UPS), il vient de commander 12 utilitaires 100% électriques à la petite société britannique Modec. La moitié sillonnera les routes allemandes dès l’an prochain, l’autre celles du Royaume-Uni. Ce n’est certes qu’un début, mais les prototypes électriques sont prêts — même s’il reste plusieurs questions en suspens. Par ailleurs, la question du «plein» ne se pose pas vraiment puisqu’il suffit de «brancher» ces véhicules sur secteur pendant la nuit, lorsque les centrales thermiques (gaz, nucléaire, charbon…) sont en surcapacité.

L’UE mise un milliard sur l’hydrogène

Malgré ces tendances qui semblent aujourd’hui se dessiner, et en dépit des nombreux verrous technologiques qui «castrent» actuellement la filière hydrogène (lire notre édito ci-dessus, «La voiture à hydrogène, je n’y crois pas!»), l’Union européenne (UE) vient de décider de mettre le paquet sur cette technologie. Objectif: rattraper son «retard» sur les Etats-Unis, le Canada et le Japon. L’UE vient de décider d’injecter un milliard d’euros dans cette filière énergétique hasardeuse la moitié financée par la Commission, l’autre moitié par un consortium industriel.

L’objectif de l’UE, ambitieux, est de faire de l’hydrogène un «vecteur des énergies renouvelables». C’est-à-dire l’utiliser comme le maillon d’une chaîne énergétique propre, permettant de stocker et de restituer à la demande des kilowatts renouvelables issus de sources intermittentes – vent, solaire photovoltaïque, marées, etc. Ambitieux, donc, car pour l’instant l’hydrogène est clairement le «maillon faible» de cette chaîne d’énergie hypothétique rêvée notamment par Jeremy Rifkin, et promue par celui-ci au plus haut niveau européen, tant auprès de la Commission (l’ancien président Romano Prodi a fortement «poussé» l’hydrogène durant son mandat, et son frère Vittorio, eurodéputé, a repris le flambeau) que des milieux d’affaires (Rifkin était l’invité vedette du dernier Sommet européen des affaires en février dernier à Bruxelles).

Verheugen n’y croit pas

Reste que la voiture à hydrogène n’est qu’un des nombreux axes de recherche qui seront développés dans le cadre de ce «plan Marshall» européen pour l’hydrogène. Bruxelles souhaite que les véhicules qui carburent à l’hydrogène représentent 5% du parc automobile européen en 2020. Pour favoriser l’arrivée de ces voitures sur son marché intérieur, l’Union européenne a donc décidé d’uniformiser leur homologation dans les 27 Etats membres. Le Parlement européen a récemment donné son feu vert à une proposition de la Commission allant dans ce sens, laquelle devrait rapidement aboutir à l’adoption d’un texte officiel.

L’Europe prévoit une fabrication de masse des voitures à pile à combustible pour 2018-2020. Réaliste? Pour Florent Petit, le pourtant optimiste directeur de l’Institut FC Lab à Belfort (le centre d’essais français sur la pile à combustible), «on reste dans l’ordre du pari». Même son de cloche, plus grave, du côté du Commissaire européen à l’industrie Günter Verheugen, très courtisé par l’industrie automobile allemande et «bêta testeur» de la BMW série 7 hydrogène: «Je ne suis pas convaincu que la voiture à hydrogène sera la voiture du futur. J’ignore si cela fonctionnera un jour. Dans tous les cas, il est certain que cette technologie n’aura pas d’impact dans les 10 à 15 prochaines années.» D.L.

2 Commentaires Laissez le votre

  1. le 17 avril 2009 à 12:23

    Florent PETIT #

    Etant cité dans votre article je me permets de réagir…car l’utilisation que vous faites de mes propos à l’appui de votre thèse-ou devrais-je parler d’affirmation? est, comment dire…un rien trompeuse. Moi qui livrais une appréciation selon laquelle l’estimation des constructeurs (horizon 2018-2020) ne me paraissais pas utopique, me voilà bien puni! Ah, oui, j’ai accessoirement aussi parlé de « pari », et c’est d’une telle évidence! car ce terme s’applique, tant que les marchés correspondants ne sont pas développés, à l’hydrogène comme à toutes les nouvelles technologies de l’énergie, incluant les biocarburants de 2è génération, les batteries…jusqu’à notre capacité à assurer notre fourniture énergétique à l’horizon 2050! De nombreuses voies sont explorées, développées, car aucune n’est certaine ni mûre aujourd’hui. L’hydrogène en fait partie. Mais j’avoue, à ma grande honte, ne pas avoir la capacité que vous semblez affirmer dans vos 2 articles et votre autre édito à « trancher » dès à présent entre les bonnes pistes et les « mythes ». Je dois manquer de clairvoyance…Vous ne m’en voudrez pas néanmoins, même affublé de cette consternante myopie, de souscrire aux commentaires diffusés sur votre autre article. Car oui, vous raisonnez avec des informations partielles, sorties de leur contexte (à l’image de mes propos rapportés), voire fausses. Tiens, juste un exemple, pour la route: un véhicule à pile à combustible pèserait 40% de plus qu’un véhicule à essence? Et exploserait comme une grenade en cas d’incident? Diable! Et si vous en parliez à ceux qui travaillent sur le sujet? Aller au delà des idées reçues réserve parfois bien des surprises. Et si vous assumiez vous-même vos thèses, plutôt que de distordre à votre convenance des propos tenus par d’autres?

  2. le 17 avril 2009 à 14:16

    M. Petit, merci de votre réaction. Je n’ai pas le sentiment d’avoir déformé vos propos et suis pour le moins étonné que vous le preniez ainsi.

    Qu’ai-je écrit? Ceci:

    L’Europe prévoit une fabrication de masse des piles à combustible pour 2018-2020. Réaliste? Pour Florent Petit, le pourtant optimiste directeur de l’Institut FC Lab à Belfort (le centre d’essais français sur la pile à combustible), «on reste dans l’ordre du pari».

    Ma source pour cette citation de six petits mots? Ces deux paragraphes d’un article du Vif:

    Les voitures roulant avec une pile à combustible seront produites en petites séries à l’horizon 2012-2015 et la fabrication de masse sera pour 2018-2020, prévoient les chercheurs comme les constructeurs. « Ces objectifs ne nous paraissent pas utopiques », assure Florent Petit, directeur de FC Lab à Belfort, l’unique centre d’essais français sur la pile à hydrogène.

    Cette technologie, qui fait figure de « serpent de mer » depuis 30 ans, approche tout doucement de sa phase concrète, estime ce chercheur que les progrès de la connaissance ont rendu assez optimiste, « même si l’on reste dans l’ordre du pari ».

    Bref vous vous montrez optimiste mais prudent, comme tout scientifique qui se respecte. Qu’ai-je écrit d’autre?

    Cordialement,

    David Leloup
    journaliste
    Médiattitudes

    PS: je ne suis pas l’auteur de l’éditorial.

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