La démocratie est-elle compatible avec le développement durable?

 
On ne doit jamais l’oublier: le développement durable, c’est satisfaire nos besoins sans entraver le développement des générations futures. Quand naît un bébé en Belgique, il est déjà redevable de 50.000 € de dettes. Les exigences du développement durable ne devraient-elles pas être inscrites au cœur des constitutions afin d’empêcher des tendances égoïstes vis-à-vis des générations futures?

On doit constater que beaucoup d’états démocratiques européens sont empêtrés dans une politique inverse en ce qu’ils financent leur développement à crédit sur le dos des générations futures. Quand naît un bébé en Belgique, il est déjà redevable de 32.000 € de dette publique auquel il convient d’ajouter les nombreuses dettes cachées comme les charges futures des pensions et des soins de santé de ceux qui sont tous nés avant lui. On peut estimer cette dette à 50.000 € par nouveau né.

Tout à l’inverse, la Chine qu’on fustige régulièrement pour son manque de démocratie notamment au travers de sa politique malthusienne de l’enfant unique, est devenue la première puissance économique mondiale. On dénombre 1,34 milliards de chinois. Si son gouvernement de fer n’avait pas pris, dès 1990, ces mesures inhumaines contestées par le médiatique opposant, Chen Guangcheng, il y aurait aujourd’hui (1), 2,5 milliards de chinois dont la plupart illettrés, sans ressource. Ils auraient tôt fait de désertifier un pays qui peine encore à nourrir sa population. Le gouvernement aurait été incapable de contenir la légitime révolte d’un aussi grand nombre. La Chine aurait vraisemblablement sombré dans le chaos, entrainant le reste de la planète vers les abysses d’une crise mondiale inédite.

Les recettes aigres-douces de la Chine

De deux maux, on choisit le moindre. Le gouvernement chinois, visionnaire et indépendant, a préféré passer pour le mauvais élève de la démocratie mondiale plutôt que de conduire sa nation et toute l’humanité vers la banqueroute. Au lieu de cela, le gouvernement chinois a endigué la démographie. Un vaste programme de reboisement a inversé le processus de désertification en augmentant les forêts de 10% à 20% de la surface du territoire.

Les réserves de change de la Chine s’élèvent à plus de 3.200 milliards de dollars américains (USD), soit 2.400 USD par habitant, ce qui lui permet de continuer à construire un vrai développement durable en déployant rapidement une panoplie d’énergies renouvelables pour remplacer, à terme, leur charbon polluant. A titre de comparaison, la dette grecque par habitant s’élève aujourd’hui à plus de 30.000 USD. A moins d’une ingratitude irrationnelle, les générations futures chinoises n’iront jamais cracher sur les tombes de leurs aïeux.

De quoi sont composées les recettes aigres-douces chinoises pour apporter, en si peu de temps, un tel embonpoint à leur économie ? Ces recettes sont décrites dans mon livre 9 milliards, le futur maintenant (Luc Pire, 2008). En résumé, le produit intérieur brut dont les dirigeants prophétisent le mythe de la croissance sans fin, est un indicateur économique exécrable pour le développement durable. La comptabilité des banques nationales n’aboutit qu’à l’équivalent d’un compte de résultat où chiffre d’affaires et bénéfice sont confondus. Il n’existe pas de bilan à proprement parler, ce qui permet aux Etats de dissimuler l’importance de leurs déficits dans des reventes d’actifs nationaux.

Le PIB ne peut pas être l’indicateur économique du 21e siècle

9 milliards explique comment les Etats pourraient comptabiliser leurs richesses matérielles afin de mesurer, objectivement, s’ils s’enrichissent ou non, d’années en années. En peu de mots, la recette consiste à accumuler des richesses en réalisant une balance courante positive sur les marchés internationaux, grâce à des produits d’exportation compétitifs et à une consommation sobre de produits énergétiquement efficients.

Par exemple, la production nationale d’énergies renouvelables permet d’éviter l’importation d’un pétrole coûteux qui ruine le pays en même temps qu’il gonfle ce fichu PIB. Ce même PIB bonifie quand on fume des cigarettes ou qu’on se fait percer le nombril. Qui peut soutenir sereinement qu’il s’agit-là de développements souhaitables pour notre bien-être ?

La politique expansionniste qui rend si populaire le sympathique François Hollande consiste à aggraver la dette de l’Etat, c’est-à-dire des générations futures françaises voire européennes, en distribuant cette manne au travers de 60.000 nouveaux travailleurs de l’Etat. Oui, le PIB va augmenter. Oui, ce feu de paille va réchauffer une économie anémiée. Mais la gueule de bois économique suivra dès que les effets euphorisants de cette dose seront dissipés.

Car la vérité est impossible à assumer pour un Président en campagne. Les Français vivent (un peu) au-dessus de leurs moyens. Il conviendrait donc qu’ils travaillent un peu plus et un peu plus longtemps afin d’éviter de vivre un peu plus au crochet de leurs successeurs. Ceci leur permettrait de gagner des points de compétitivité sur le marché international et de rééquilibrer la balance courante.

Si les riches deviennent les Chinois…

Ce n’est pas du tout le discours de la gauche et des syndicats qui entretiennent l’illusion du droit acquis comme un postulat social. Après tout, il n’y a qu’à faire payer la crise aux riches. Certes, un siècle de socialisme n’a pas encore réussi à réduire suffisamment les inégalités et les abus d’une économie mondiale très imparfaite, orientée vers le profit à court terme et non sur le bien-être universel et durable. Mais si, dans le futur, les riches deviennent les Chinois, comment les petits Français et a fortiori les minuscules Belges pourront les contraindre à ce que les asiatiques payent l’addition de notre European way of life? Un salarié français travaille moins de 60.000 heures par carrière pour plus de 700.000 heures de vie (81,5 ans d’espérance de vie à la naissance) alors que son collègue chinois travaille plus de 80.000 heures pour moins de 650.000 heures de vie (73,5 ans d’espérance de vie à la naissance). (2,3,4)

Travailler davantage, partir moins en voyage, dépenser moins, moins futile, plus efficient : tel est le discours austère et raisonnable qui ne peut séduire qu’une très petite minorité de l’électorat. Aucun politicien n’est preneur, à part peut-être en Allemagne où la population a vécu depuis deux générations le «miracle allemand». D’un champ de ruines en 1945, le travail et la technologie ont permis la reconstruction de ce pays qui domine aujourd’hui l’économie de l’Union européenne.

Dès les premiers signaux d’un ramollissement de la compétitivité de l’économie allemande, les syndicats de l’industrie automobile ont accepté, bon gré mal gré, d’augmenter la semaine de travail à 40 heures pour le même coût, alors que les Grecs ont attendus la faillite virtuelle de leur Etat pour se voir imposer des mesures extrêmes avec des diminutions d’au moins 22% de leurs revenus et un chômage dont le taux atteint 22%.

La démocratie, même composée d’électeurs responsables et informés, s’accommode mal des exigences du développement durable. Celles-ci devraient être inscrites au cœur des constitutions afin d’empêcher des tendances égoïstes vis-à-vis des générations futures. La « règle d’or », qui consiste à ne pas augmenter la dette souveraine, serait l’une d’entre elles.  

Laurent Minguet

(1) Elements d’écologie appliquée, François Ramade, 6e édition, Paris, Dunod. 2005.
(2) Statistiques mondiales, temps de travail (source: UBS).
(3) Evolution de l’espérance de vie à divers âges, INSEE, 2011.
(4) Espérance de vie à la naissance, Chine, Université de Sherbrooke, 2011.

5 Commentaires Laissez le votre

  1. le 1 octobre 2012 à 11:19

    Comme toujours un billet bien construit et un brin provocateur…
    Je souscrit entièrement à l’idée que le PIB est un piètre indicateur du bien-être et même de la richesse d’un Pays.
    C’est un indicateur construit sur la quantité de déchets générés, des « 3D » des golden sixties : Dig, Digest, Dump.
    Non seulement les intrants comme les combustibles ou les matières premières font partie du PIB, mais aussi, les activités liées à la mise en décharge.
    Dans un monde où on vise des économies d’énergie, un allongement de la durée de vie des objets et le recirculation des matières, le PIB ne peut que diminuer.
    Déjà Schumpeter distinguait la croissance (quantitatif) du développement, défini comme un changement de type qualitatif et irrégulier.
    Le monde économique et politique est assez schizophrénique : c’est comme s’il avait déchiré en deux l’œuvre de Schumpeter en cherchant à appliquer d’un côté la croissance et d’autre côté le développement, l’innovation sans jamais pouvoir faire le lien entre les deux.
    J’ai par contre plus de doute quant à la viabilité du modèle chinois : La Chine ne sera-t-elle pas vielle avant d’être riche ?
    N’ont-ils pas hypothéqué une/des générations futures d’une autre manière, en jouant sur les externalités, la démographie ?
    Un autre aspect qui suscite mon interrogation est l’appel à l’austérité qui semble sous-tendre ta conclusion. Quand tu parles d’un discours « austère et raisonnable » n’est-pas encore une fois égaler consommation et bien être ?
    Beaucoup d’innovations concernent des gains d’efficacité : en eux-mêmes, ils signifient consommer moins pour un bien-être au minimum équivalent.
    Le PIB est un bien piètre indicateur de développement ne serait-ce que parce qu’il ne monétarise qu’un partie des constituants du bien-être en intègre d’autres qui ne sont pas relevants.
    A quand un billet de LM sur les indicateurs de bien-être tels que celui du Bhoutan ?

    PS : Le piercing au nombril n’aurait pas sa place dans les indicateurs de bien-être ? Position philosophique ou parentale ;-)

  2. le 20 octobre 2012 à 09:53

    il est certain que la Chine n’est pas le modèle en tout point. Il y a des gens corrompus comme au Québec et peut-être même en Finlande.

    L’excès de consommation ne fait pas le bonheur mais, même au Bouthan, un minimum d’eau, d’énergie, de nourriture est le pré requis indispensable avant d’envisager le bonheur.

    Je ne parle d’ailleurs pas de bonheur mais de développement durable donc de satisfaction de besoins.

    Si mes besoins sont satisfaits, je peux quand même être très malheureux car ma femme m’a quitté ou que je n’arrive pas à abaisser mon handicap de golf ou que j’ai un gros bouton sur le nez ou qu’un promoteur construit une tour près de chez moi :-)

    Quant au percing, je pense qu’il faut d’abord faire des forages dans le sol africain avant de contempler son nombril à la perle.

    laurent MINGUET

  3. le 20 octobre 2012 à 16:52

    Bonjour
    Il me semble surtout que la démocratie est incompatible avec un monde surpeuplé. Nous avons multiplié nos effectifs par 4 quatre au cours du siècle précédent et le 21ème devrait nous faire atteindre 10 milliards d’habitants (prévisions moyennes de l’ONU). Il me semble que face à la crise écologique qui s’annonce et à ses inévitables conséquence sur la démocratie nous devrions de toute urgence tout faire pour faire baisser la fécondité. Car plus nous attendons, plus les mesures qui seront prises seront liberticides et plus l’environnement sera dégradé.
    Si nous ne prenons pas en compte le facteur démographique, tous nos autres efforts en matière d’environement seront réduits à néant. Il est temps que sur ce point cesse le tabou.

  4. le 20 octobre 2012 à 18:10

    Aujourd’hui l’information véhiculée par les médias n’est plus synonyme d’objectivité. Les réseaux sociaux jouent souvent le rôle de caisse de résonance pour le sensationnel et le buzz. Au final, les gens sont alimentés par des informations incomplètes et souvent culturellement déformées. Dans un tel monde, il devient effectivement pertinent de se demander si la démocratie telle qu’on la connait est toujours adaptée. Les défis à relever demandent une vision à long-terme délivrée des impératifs électoraux, et réfléchie globalement, en dehors des tabous et des déformations culturelles.
    L’exemple de la Chine est sans doute intéressant à analyser …

  5. le 21 octobre 2012 à 08:59

    Anonymous #

    A la lecture de votre billet, je me sens moins seul dans mes analyses et conclusions comparables aux vôtres :) L’ensemble des politiques, médias ET électeurs restent coincés dans leur croyance de la croissance infinie de la consommation et de la population: aucun porliticien n’aurait une chance de percer aujourd’hui en s’opposant à ce dogme désuet ! Votre message a t’il seulement une chance de se diffuser dans nos civilisations où l’être humain est instinctivement égocentrique et court-termiste comme le décrit si bien le professeur Christian de Duve dans son livre »Génétique du péché originel : Le poids du passé sur l’avenir de la vie » ?

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